Bonjour Anthony*. Je te remercie d’avoir accepté cette interview. Peux-tu te présenter et nous expliquer en quoi consiste ton job ?
Je suis papa de 2 enfants et j’ai un parcours de plus de 15ans dans la vente et le management. Depuis quelques années, j’ai rejoint une société d’assurances où j’occupe le poste de directeur régional. J’ai une cinquantaine de collaborateurs dans ma région et je manage en direct 4 managers. Mon métier s’organise autour de 2 grandes casquettes :
- Celle de recruteur. C’est 70% de mon temps. Notre façon de recruter repose d’abord sur le savoir-être. Je ne cherche pas des commerciaux ou des experts en assurance. Je cherche des talents et des personnes avec de fortes valeurs. Pour cela, je chasse. Je vais à la rencontre des meilleurs. Je rencontre principalement des personnes qui me sont recommandées, justement pour leur potentiel et leur savoir-être. Ça demande donc beaucoup de temps, de rencontres, de réseautage. C’est une démarche assez élitiste mais c’est essentiel pour trouver LA bonne personne et garantir le service client qu’on souhaite apporter.
- La casquette de manager et facilitateur. Je manage en direct 4 managers. Même si je suis hiérarchiquement « au dessus », moi, je me place en bas de la pyramide, au service de mes équipes. L’entreprise permet à chacun construire son évolution professionnelle d’un point de vue métier et rémunération. Et moi, mon rôle, c’est d’en être le facilitateur.
C’est vraiment le côté humain qui me passionne dans mon job.
Cela se sent ! Comment évalues-tu ton niveau de curiosité dans l’exercice dans ton job ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?
Je suis très curieux parce que je ne supporte pas de faire quelque chose sans le comprendre. C’est un moteur pour moi.
De plus, tout change tellement vite que je suis obligé d’être curieux pour être bon. Si je me repose sur mes lauriers, c’est mort. Je me dois d’être curieux. Je suis très exigeant avec moi-même donc je me remets tout le temps en question. Ce qui peut être épuisant à la longue…Mais c’est aussi ce qui me permet de garder le niveau et même de continuer à progresser. Par exemple si je me suis planté dans un recrutement, je vais me refaire le film pour chercher à comprendre ce que j’ai loupé et en tirer les apprentissages : qu’est-ce que je n’ai pas vu ? Qu’est-ce que je vais devoir faire différemment la prochaine fois pour éviter que ça ne se reproduise ?
Dans le management, il faut aussi être curieux : mieux se connaitre pour mieux manager et mieux connaitre l’autre pour mieux le manager. Mon rôle est de synthétiser avec bienveillance et exigence ce qui est attendu par la direction à mes équipes. Mieux je connais mes équipes, plus je sais adapter le discours pour qu’il soit parlant et motivant. Et c’est la même chose pour les infos que je remonte à la direction.
J’ai un poste assez exposé. D’un côté la direction. De l’autre les collaborateurs. Finalement, même si j’ai des collègues qui font la même chose que moi dans d’autres régions, au quotidien, je suis seul. Donc si je me trouve coincé, que je ne vois pas ce que je peux faire, je dois me faire aider. Et qui peut m’aider en premier lieu ? et bien ma curiosité. Parce que spontanément on ne me propose pas d’aide. Donc c’est à moi d’aller chercher.
Enfin, dans le recrutement, j’ai appris à être plus curieux. Ça c’est vraiment grâce à mon entreprise actuelle. Comme on cherche avant tout des talents et du potentiel, ça demande à être curieux, à creuser ce que l’autre dit ou montre. Aller au-delà. Si tu n’es pas curieux, tu ne peux pas détecter le potentiel de l’autre.
En quoi c’est aidant pour toi d’être curieux ?
Ce n’est pas aidant, c’est indispensable. Celui qui n’est pas curieux, il meurt. C’est impossible de faire carrière sans être curieux! En synthèse, ça me permet d’abord d’obtenir des très bonnes performances dans la durée, en me renouvelant sans cesse. Et ça me permet d’être autonome, de me débrouiller.
Qu’est-ce qui suscite particulièrement ta curiosité en ce moment ?
Il y a un projet sur lequel je m’investis actuellement et je suis curieux de voir comment ça va évoluer. Après, pour le reste, je n’ai pas vraiment le temps d’être curieux en ce moment.
Et dans ton job ?
Un sujet de management : comment remettre une dynamique positive dans une équipe en sous-performance alors que les compétences sont là ? Je cherche à savoir par quel bout je dois prendre les managers pour leur faire prendre conscience qu’il y a un souci et que celui-ci est lié à des habitudes à changer.
Autre sujet : comment améliorer encore mon recrutement pour être plus performant.
Comment fais-tu pour satisfaire cette curiosité ?
Pour le 1er sujet, je travaille directement avec l’équipe concernée. Au départ, il a fallu qu’on partage le même constat et donc générer quelques prises de conscience. Maintenant, c’est les faire travailler sur les points de blocage et les solutions.
Pour le 2ème sujet, j’ai sollicité un collègue qui m’a partagé sa façon de faire. Ça m’a permis d’apporter tout de suite quelques changements dans la façon de m’y prendre.
Si tes collaborateurs étaient davantage curieux envers toi et le job que tu exerces, qu’est-ce que ça changerait ?
Ça serait magnifique ! ça changerait tout.
Je pense qu’ils prendraient davantage conscience de tout le champ des possibles qui leur est offert. J’attends vraiment que les gens soient proactifs, ambitieux, force de proposition. Je rêve qu’ils défoncent ma porte pour amener l’idée que je n’ai pas eu. Je préférerai être payé à canaliser 50 personnes plutôt qu’à essayer de les inciter à faire ci ou ça.
Mais j’ai plutôt le sentiment d’être dès fois seul à ramer sur le bateau. Plus de curiosité générerait plus de réciprocité, de générosité et d’ambition.
Si tes patrons étaient davantage curieux envers toi, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
Ils pourraient se rendre compte que je suis seul à mon poste, en souffrance et que je compense par une masse d’énergie et de travail. Et qu’ils vont me perdre. Aujourd’hui, ils ne sont pas lucides. Dans mon entretien annuel, à aucun moment, on a parlé de moi. On a parlé de mon entité. Mais à aucun moment on m’a demandé comment j’allais. Je pense qu’ils préfèrent occulter que d’aller sur ce terrain-là.
Mais aujourd’hui, je ne veux surtout pas qu’ils soient plus curieux. Car de leur part, ce ne serait pas une curiosité bienveillante. Ce serait une curiosité pour pointer ce qui ne va pas, contrôler et sanctionner.
C’est dur ce que tu dis !
Oui mais c’est la réalité.
Et toi, à l’inverse, sur quels sujets ou personnes tu te dis que tu pourrais te montrer plus curieux dans ton job ?
Je ne vois pas sur quels sujets je pourrai être plus curieux qu’actuellement.
Auprès de qui, là, j’aurai plein de personnes. Avec le comex par exemple, j’aurai envie d’être plus curieux. Mon patron est quelqu’un plein de valeurs dans le perso, mais pas au travail. Je pourrais surement être plus curieux pour essayer de mieux le comprendre.
Qu’est-ce qui t’empêche d’exercer cette curiosité ?
Là, pour moi, c’est une mauvaise idée car je suis déjà trop exposé. La curiosité dans mon entreprise n’est jamais anodine. Il y a toujours une idée ou un intérêt derrière. Moi ce n’est pas comme ça que je fonctionne avec mes équipes mais au niveau du siège, il vaut mieux être prudent sur ce qu’on dit. Pour vivre heureux, vivons caché !
En fait, il faut se sentir en sécurité pour pouvoir être pleinement curieux. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. On est en insécurité. Tant que tu es performant, tout va bien. Mais dès que ce n’est plus le cas, tout ce que tu as pu dire ou faire pourra t’être rappelé à ton bon souvenir…
Et puis on m’a souvent reproché de poser trop de questions. En fait, tant que je n’ai pas les réponses ou le sens dont j’ai besoin, je continue de creuser. Et ça, ça peut être gênant pour les autres.
Bref aujourd’hui avec mes équipes je ne me freine pas car je suis convaincu des bénéfices à être curieux et mon intention est bienveillante. Mais avec le siège et la direction, je fais attention.
Du coup, quel est à tes yeux le frein principal au développement de la curiosité en entreprise ?
Le manque de confiance et de bienveillance. S’il n’y a pas ça, la curiosité peut être dangereuse et il vaut donc mieux faire profil bas, ne pas trop en dire et ne pas trop poser de questions.
Je te remercie pour tout ce que tu viens de me partager. Tu avais peur de ne pas avoir grand-chose de plus à dire que ce qui avait déjà été dit lors des précédentes interviews, or, il y a des éléments dont on n’avait pas encore parlé et notamment ce besoin de sécurité psychologique pour pouvoir pleinement exercer sa curiosité.
Oui c’est vrai. Pour le coup, cette sécurité était présente lors de notre échange et c’est ça qui m’a permis de m’exprimer. Même moi je ne pensais pas dire tout cela. Et puis, ça me fait réfléchir. Je me dis que je pourrais quand même être plus curieux envers mes managers. Essayer de me centrer davantage sur eux, de les comprendre, avant de les juger. Donc merci.
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merci beaucoup Anthony* !
*Anthony est un pseudo
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