Bonjour Vanessa*. Je te remercie d’avoir accepté cette interview. Peux-tu commencer par te présenter et notamment nous expliquer ton parcours et ton métier ?
Je suis une maman de deux enfants. J’ai commencé en tant que vendeuse à la naissance de mon premier enfant. C’était une ouverture de magasin et un contrat 25H. Au bout de deux ans et demi, j’ai eu l’opportunité de prendre un poste de responsable de magasin dans une autre enseigne de ma ville. Concernant spécifiquement le métier de responsable de magasin, c’est un métier avec de très nombreuses casquettes : celle de vendeuse, celle de RH car on fait les contrats, les plannings, beaucoup d’administratif… On a aussi une casquette de manager, de manutentionnaire, de merchandiser, de coach de vente, et même aussi dès fois de psy avec nos équipes ou nos clients. Je ne pense pas qu’on devienne responsable de magasin du jour au lendemain. Il faut passer par beaucoup d’expériences et d’imprévus. Dans l’enseigne pour laquelle je travaille, il y a pas de mal de cadre à respecter, de rituels… On doit tout chapoter, expliquer, donner du sens, réexpliquer.
Comment évalues tu ton niveau de curiosité dans l’exercice de tes fonctions ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?
Ça dépend dans quel domaine. Sur l’humain, j’adore connaitre les gens, ce qu’ils font dans la vie, leur métier, leurs passions. C’est naturel pour moi et ce n’est pas de la curiosité mal placée. Je suis convaincue que ça permet de mieux se connaitre, et que cela génère de la confiance, de l’harmonie, de la reconnaissance. Par exemple, l’une de mes vendeuses est partie dans une autre enseigne pour avoir un 35H. Elle n’est restée que trois semaines car personne ne s’intéressait à elle. Les échanges étaient uniquement professionnels et orientés tâches, objectifs. Résultat, même si elle aimait son métier et qu’elle était contente d’avoir un 35H, le côté humain lui manquait trop.
Ma curiosité pour l’entreprise a évolué. Au départ, je pense qu’on l’est naturellement. Dès les entretiens. C’est normal, on veut savoir où on met les pieds. Ensuite, ça évolue vers d’autres sujets. Les projets en cours, les nouvelles orientations… Mais moi, je pose souvent trop de questions. Mon responsable régional ne peut pas me répondre sur tout. Souvent, on me dit « On verra ça en réunion ». Alors, j’apprends à être patiente.
Qu’est-ce qui suscite particulièrement ta curiosité en ce moment ?
Ce qui se passe actuellement en Russie et en Ukraine. Où on va ? Qu’est ce qui va se passer ? Quel avenir pour nos enfants ? J’évite les infos car c’est une source de stress pour moi. Je reçois quand même des notifications sur mon portable. Et sinon, j’en parle beaucoup avec mon entourage.
Et en entreprise ?
Je me demande quelles vont être les conséquences pour mon entreprise et mon magasin. Cette crise arrive après 2 ans de covid. C’est pas facile…. Et puis, sans parler de l’impact psychologique pour mes vendeuses. J’ai déjà connu cela avec l’une de mes vendeuses qui était très angoissée quand les magasins ont réouvert après le premier confinement.
Si ton manager, le siège ou tes clients étaient davantage curieux sur ton job et la façon dont tu l’exerces, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
Qu’on a des journées bien chargées ! Ils découvriraient toutes nos casquettes !
Peu de clients s’interrogent sur nos métiers. J’ai un peu plus été amenée à en parler lors de la réouverture des magasins après les confinements. Les gens se souciaient de ce que les protocoles sanitaires pouvaient nous rajouter comme contraintes. C’était gentil de leur part. Mais les clients sont surtout curieux des produits : où et comment ils sont fabriqués ? Ce sont des questions que nous avons très régulièrement.
Pour le siège ou même mon manager, j’adorerai qu’ils passent deux à trois semaines en magasin pour se rendre compte. Aujourd’hui, leur curiosité s’arrête surtout pour savoir où nous en sommes sur nos objectifs, nos indicateurs. On ne nous parle que de productivité en ce moment. On nous rajoute des choses sans se rendre compte qu’il n’est pas toujours simple de l’intégrer dans notre quotidien. Je pense aussi qu’avec davantage de curiosité, ils se rendraient compte qu’on est très nombreux à être fatigués. La pression du chiffre, de la productivité, de la formalisation… Cela met du stress.
Et toi, à l’inverse, sur quels sujets ou personnes tu te dis que tu pourrais te montrer plus curieuse dans ton job ?
Je suis curieuse de mes collègues. J’aimerai savoir comment elles s’organisent dans leurs magasins.
Certains métiers éveillent aussi plus ma curiosité que d’autres : les RH pour mieux comprendre les obligations juridiques, le produit pour être encore plus convaincante dans mes argumentaires et enfin la production pour mieux répondre aux questions des clients.
Donc j’entends qu’au delà de ta grande curiosité sociale, tu as une curiosité orientée solution, c’est-à-dire une curiosité pour combler un manque. Autre chose ou autre personne dans ton entreprise, sujet de ta curiosité ?
Mon manager. En fait, j’aimerai en savoir plus sur lui. Nos discussions sont très pro. Mais on ne partage rien d’autre. Je n’ai pas été habituée à cela dans le passé. Ce n’est pas faute d’essayer, mais je n’ai pas de réponse ou c’est très froid. Pourtant, pas besoin de se raconter nos vies dans le détail, mais juste un « tu as passé de bonnes vacances ? Tu es partie ? ». Cela met un peu de chaleur. Je me rappelle qu’une responsable régionale avait pris notre région en intérim, ça lui faisait donc beaucoup de travail. Pourtant, elle prenait toujours 5 minutes pour prendre de nos nouvelles, discuter un peu. C’était très appréciable.
Quel est à tes yeux le frein principal au développement de la curiosité en entreprise ?
Avoir peur de trop en demander. De franchir une limite et de basculer alors dans les émotions, les sentiments, du trop personnel. Mais pourtant, je suis convaincue que c’est essentiel de s’intéresser à l’autre. Je ne forcerai jamais quelqu’un à me dire ce qu’il n’a pas envie de me dire. Mais quand c’est fait avec bienveillance, c’est plus de transparence, plus de connaissance réciproque. Cela apporte des clés pour travailler ensemble main dans la main. Et c’est en cohérence avec les valeurs humaines de notre entreprise.
La curiosité, c’est très expressif. Quel a été ton dernier « Aah » ? (quelque part, tu savais, mais ça a mis un peu de temps avant de réaliser)
C’est quand j’ai reçu un CV pour un poste de vendeuse et que j’ai fini par faire le lien. Car la personne qui postulait était une cliente du magasin.
Quel a été ton dernier « Ooh » ? (la bonne suprise que tu n’as pas vu venir)
Les primes ! Une bonne suprise en découvrant ma fiche de paie !
Quel a été ton dernier « Hii » ? (le truc qui te fait grincer des dents. Tu vas y aller, mais pas trop vite)
Les nouvelles attentes en terme de formalisation. On nous en demande beaucoup ces derniers temps…
Quelle(s) question(s) ne t’ai-je pas posée(s) mais qui pourrai(en)t être intéressante(s) quand on parle de curiosité en entreprise?
Qu’est-ce qui m’a fait venir dans cette enseigne et pourquoi j’y reste ?
Et alors ???
Ce qui m’a fait venir : c’est d’abord le salaire et les responsabilités. Je passais de vendeuse à responsable de magasin et de 25H à 39H. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Si ça ne marchait pas, je savais que je retrouvais un poste de vendeuse à 25H. Et puis, c’est aussi beaucoup grâce à une personne qui me connaissait d’avant et qui m’a fait confiance pour reprendre le magasin. C’était ma responsable régionale. Une féé de la bienveillance. Elle m’a fait confiance et c’était fluide avec elle.
Et ce qui me fait rester : j’ai beaucoup progressé sur le produit et les techniques de ventes. J’ai des clientes fidèles. Je prends toujours beaucoup de plaisir dans la vente. Si je pouvais arrêter la formalisation, ce serait le must. Et puis, j’ai un autre projet au sein de l’enseigne. Cela me booste.
merci beaucoup Vanessa* !
*Vanessa est un pseudo
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