Bonjour Elodie*. Je te remercie d’avoir accepté cette interview. Peux-tu te présenter et nous expliquer en quoi consiste ton job ?
Maman de deux enfants et je suis assistante sociale depuis 15ans. Et depuis 12ans, j’exerce dans un hôpital psychiatrique après avoir juré pendant mes études de ne jamais travailler dans une telle structure.
Pour quelles raisons ?
J’avais une peur bleue. Je me sentais incapable. Et après mes deux premières années d’exercice de mon métier, j’ai compris que ce qui m’intéressait le plus, c’était ce qui se jouait dans la relation avec l’accompagné, son histoire, ses maux. C’est plus le lien qui m’intéresse que l’accompagnement uniquement du social. Et puis, je pense avoir une certaine sensibilité qui m’aide énormément. Je travaille donc en service hospitalier. Mon quotidien, c’est le travail avec l’équipe pluridisciplinaire. La différence par rapport à d’autres assistantes sociales qui travaillent au sein d’équipe de travailleurs sociaux, c’est que moi, je suis la seule à porter cette casquette au sein de l’équipe.
A quoi ressemble ton quotidien ?
Le quotidien n’est en fait jamais le même. Un moment important de la journée est cependant la relève. On vient prendre la température de l’équipe et du service, prendre des nouvelles des patients. Pour le reste de la journée, mon planning est flexible ce qui me permet de répartir mon temps en fonction des besoins et des patients. J’ai un peu de temps formel (des entretiens, des réunions…), mais j’ai aussi beaucoup de temps informel et ça, c’est essentiel dans mon métier, car c’est souvent dans ces moments-là que des choses intéressantes émergent.
En fait, je suis à la fois dedans et dehors : dedans, c’est à l’hôpital, avec les patients et l’équipe pluridisciplinaire. Et dehors, ce sont les visites à domicile, les accompagnements des patients auprès des administrations et les rencontres avec les partenaires (centres d’hébergements, institutions, assistantes sociales qui pourront prendre la suite de l’accompagnement…).
Comment évalues tu ton niveau de curiosité dans l’exercice dans ton job ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?
Je n’aurai jamais pensé à mettre le mot curieux dans ma pratique, mais en fait je pense que c’est très présent. Je cherche beaucoup les informations, les réponses, les solutions, face à des situations qui sont souvent uniques.
Quand je rencontre des patients, je me rends compte aussi de la curiosité que j’ai auprès d’eux. Tous mes sens sont en alerte. J’écoute, j’observe, je fais des liens entre ce que j’entends, ce que je vois, ce que j’ai pu apprendre auparavant dans leurs dossiers ou auprès de l’équipe soignante. J’interroge aussi les médecins pour essayer d’avoir une vision la plus globale et précise possible.
Et puis, je suis aussi curieuse envers moi-même. C’est un médecin avec lequel j’ai travaillé au début de ma carrière qui m’a appris à m’interroger sur mes ressentis. Être curieux du patient et de ses émotions, mais aussi des nôtres.
En quoi c’est aidant pour toi d’être curieux ?
Notre premier outil de travail : c’est nous-même. Et le second, ce sont les personnes qu’on accompagne.
Je ne vois pas comment je pourrai bien accompagner les patients sans curiosité. Sans essayer de voir au-delà des pathologies. En creusant leurs histoires de vie. Et sans faire le lien avec les médecins, la psychologue, l’équipe soignante…Souvent, lors des entretiens que j’ai avec eux, il en ressort énormément de choses. Des choses qu’ils n’ont pas dit aux infirmières ou médecins. J’ai une autre relation avec les patients. Cela permet d’explorer d’autres facettes et tout cela est finalement complémentaire et au service de la personne.
Sur la curiosité envers moi-même, j’ai appris à être à l’écoute de ce que je ressens, de mes émotions et intuitions et je les partage aux patients. Par exemple, j’ai partagé récemment à une dame le fait que je ressentais qu’elle ne nous faisait pas confiance. Je lui ai dit cela posément et en lui demandant comment on pourrait faire pour avancer sans cette confiance. Cela a permis de débloquer la situation. Parce que j’ai dit ce que je ressentais, cela lui a permis aussi de s’exprimer. Ça ne fonctionne pas avec tous les patients, mais souvent ça provoque des choses intéressantes. Cependant, cela demande de se connaitre, de s’écouter et donc effectivement d’être curieux de soi.
Toutes les assistantes sociales travaillent comme toi ?
En psy, je pense qu’on est obligé de travailler comme ça. On est dans un lieu où on a encore souvent le temps et la place de le faire. Le nombre de personnes, le rythme, la cadence permettent encore heureusement de laisser le temps aux échanges, au lien.
Mais c’est vrai que je ne pourrais pas travailler autrement. Ou si… Mais alors je ne serai qu’une technicienne du travail social. Et ce n’est pas comme cela que j’envisage mon travail. Je m’engage beaucoup. Chaque patient est différent. Ça ne peut pas fonctionner pour moi sans être curieuse envers eux, envers le travail que réalise l’équipe soignante, envers mes partenaires à l’extérieur, envers les familles des patients et envers mes ressentis.
Qu’est-ce qui suscite particulièrement ta curiosité en ce moment ?
Au sein de mon institution, c’est comment, dans ce monde où la logique économique prime, on arrive quand même à accompagner au mieux les gens. Certes des fois, on bricole. Mais chacun le fait à son niveau. L’engagement est fort malgré des moyens restreints, des problèmes d’effectifs… Je trouve ça chouette de voir cet engagement et cette motivation. Ça donne de l’espoir sur l’Humain. C’est d’ailleurs la même chose que je me dis lorsqu’on voit tous les élans de solidarité en ce moment dans le monde. On peut avoir confiance en l’humain.
Et dans ton job ?
Qu’est ce qui fait qu’avec certains patients très très difficiles, on arrive quand même à obtenir des réussites, et qu’avec d’autres ça marche moins ? ça, c’est vraiment une question que je me pose régulièrement.
Et puis, je suis très curieuse, observatrice des mouvements d’équipe. Qu’est-ce qui fait que certains patients vont être rejetés, pas supportés, et d’autres pas. Je trouve ça intrigant, intéressant. J’ai besoin de comprendre.
Comment fais-tu pour satisfaire cette curiosité ?
J’échange beaucoup avec mes collègues. Actuellement je travaille avec un médecin très curieux donc c’est intéressant de croiser nos regards. Je lis aussi beaucoup mais je n’ai pas toujours l’énergie de me plonger dans des lectures de ce type. Enfin, je vais aussi à des conférences.
Si des personnes lambda étaient davantage curieuses envers toi et le job que tu exerces, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
On ne fait pas que remplir des papiers ! D’ailleurs je déteste ça …. Remplir des formulaires en tant que tel cela n’a rien d’épanouissant ! J’adore le métier que je fais donc j’aurai envie qu’ils voient toute la richesse humaine qu’il y a derrière ça. Et combien, c’est épuisant. Il faut faire attention, se préserver car on peut vite être aspiré par les demandes, les besoins, les histoires touchantes des uns et des autres.
Si les équipes soignantes étaient davantage curieuses sur ton job et la façon dont tu l’exerces, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
Moi je parle beaucoup, je communique énormément sur ce que je fais. Donc je pense qu’ils en ont une bonne idée de mon quotidien ; Mais peut-être qu’ils se rendraient vraiment compte que je n’ai pas de baguette magique. J’ai beau leur dire, ça n’est pas toujours réellement entendu. Mais hélas (ou heureusement !), je n’ai pas de solutions à tout.
Ça arrive aussi quelque fois qu’ils viennent en entretien avec des patients avec moi. Ils sont souvent très étonnés de tout ce qui se dit « ah mais moi, il ne m’avait jamais dit ça » et du comportement très différent des patients. On n’aborde pas la même chose, on questionne la vie, les éléments de réalité. Donc s’ils avaient le temps, je les encouragerais à venir davantage encore avec moi.
Et ça changerait quoi ?
Le travail de collaboration serait encore plus facile. Ça a progressé car j’échange beaucoup, mais souvent au départ, l’image de l’assistante sociale, c’est de la solliciter uniquement s’il y a des problèmes administratifs ou financiers. Aujourd’hui, je suis sollicitée de façon plus globale et plus anticipée (pas uniquement au moment de la sortie lorsqu’elle est envisagée).
Et toi, à l’inverse, sur quels sujets ou personnes tu te dis que tu pourrais te montrer plus curieuse dans ton job ?
J’aimerai l’être au niveau de la direction car j’en ai une image inaccessible, lointaine. Souvent on se dit qu’ils ne comprennent pas ce qu’on fait, qu’on manque de moyens… Mais j’imagine que ce n’est pas des monstres. Donc ça serait intéressant de savoir ce qui se joue à leur niveau, ou même celui de l’ARS, des organismes de tutelles, les financeurs…
Qu’est-ce qui t’empêche d’exercer cette curiosité ?
On n’a pas de temps où on se croise. On est deux routes parallèles. Deux mondes à part.
Comment estimes-tu le niveau de curiosité dans ton hôpital ?
Majoritairement les équipes soignantes sont curieuses. Je pense vraiment qu’on n’a pas le choix. Pour soigner les gens et les accompagner, il faut être curieux.
Au niveau de l’administration, je peux avoir une impression différente. Un manque de curiosité envers ce qu’on fait. Mais ce n’est qu’une impression…peut-être que ce n’est pas le cas.
Quel est à tes yeux le frein principal au développement de la curiosité en entreprise ?
L’économie d’énergie. Ne pas être curieux, c’est s’économiser de la réflexion, rester dans ce qui se fait déjà et c’est aussi éviter de se confronter à une réalité qui peut être assez éloignée des objectifs fixés…
Quelle(s) question(s) ne t’ai-je pas posée(s) mais qui pourrai(en)t être intéressante(s) quand on parle de curiosité en entreprise?
Là comme ça, je n’ai rien qui me vient. Mais je voulais te remercier car je ne m’étais jamais posé la question en ces termes, sous l’angle de la curiosité. Et je trouve que ça met les choses autrement en perspective.
merci beaucoup Elodie* !
*Elodie est un pseudo
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