Bonjour Eugénie*. Je te remercie d’avoir accepté cette interview. Peux-tu te présenter et nous expliquer en quoi consiste ton job ?
J’ai 55ans et je suis chargée de communication depuis toujours. J’adore ce que je fais. En fin d’études, je m’étais spécialisée dans l’audit, la gestion de projet, l’organisation et le conseil mais je me suis aperçue que la communication me correspondait davantage.
J’ai en charge, avec mes collègues, la communication externe d’une grande administration. C’est une communication qui est essentiellement à destination du grand public, mais aussi des différents partenaires avec lesquels on collabore.
A quoi ressemble ton quotidien ?
Je n’ai pas de quotidien type et tant mieux car j’ai horreur de la routine ! J’ai particulièrement en charge les relations presse et les relations avec les partenaires externes. Donc ça dépend de leur actualité ou d’un sujet qui émerge dans les médias. En ce moment, je consacre pas mal de temps au podcast. C’est un nouveau levier de communication que nous avons lancé et ça me plait beaucoup.
Comment évalues tu ton niveau de curiosité dans l’exercice dans ton job ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?
Si je me laissais totalement aller, je serai passionnément curieuse. Mais je fais attention car sinon je me disperse trop. J’aime beaucoup cheminer de façon non linéaire. Un truc en amène un autre, qui en amène un autre, qui en amène encore un autre etc… C’est très riche, mais je finis très loin de ce que je cherchais initialement. Cela me fait penser à la notion de sérendipité. C’est la découverte par hasard, au gré de ces errements, de choses inattendues mais finalement utiles. Pour moi, c’est ça la curiosité. C’est le désir de trouver quelque chose et le plaisir de découvrir bien plus encore sur le chemin. Mais ça demande d’être ouvert, présent à soi, à ce qui se passe et connecté aux autres. Et bien sûr, du temps.
Ma curiosité s’exprime aussi et surtout dans la relation aux autres. Que ce soit avec mes collègues, d’autres personnes dans d’autres services ou des partenaires à l’extérieur, j’adore aller à la rencontre des autres, discuter, découvrir comment ils fonctionnent, comment ils travaillent.
En quoi c’est aidant pour toi d’être curieux ?
La curiosité, c’est ce qui me tient en éveil. En vie même !
Moi, c’est surtout la curiosité de l’autre qui m’anime. Je n’aime pas avoir un jugement sur les autres. Oui dès fois on peut être énervé, mais justement, c’est en étant davantage curieux que dans l’énervement et dans le jugement qu’on réussit à débloquer des situations. C’est facile d’être curieux envers les gens où le feeling passe naturellement. Mais j’essaie aussi d’être curieuse avec les personnes pour lesquelles c’est moins facile, où je peux avoir des aprioris. Je me force de plus en plus car on se rend compte que quand on fait cet effort, quand on reste ouvert et curieux, on découvre de vraies expertises et de belles valeurs. Et ça facilite forcément le travail avec les autres. J’aime beaucoup partager et travailler en équipe. Plus on est curieux, moins on est dans le jugement, plus c’est agréable et efficace de travailler ensemble.
Et puis, être curieux avec les autres, ça m’enrichit tout simplement. Ça permet de voir les choses autrement. Par exemple, j’ai une collègue qui fait le même job que moi, mais on a des profils très différents. Elle, elle est très web. Je pourrai passer ma journée à côté d’elle. C’est tellement intéressant ce qu’elle sait faire. Je m’imprègne de tout ça. Je suis admirative des savoir-faire et fonctionnements différents des miens.
Enfin, ça permet aussi de gagner en sérénité. Si on est curieux de soi et des autres et qu’on reste ouvert, alors on apprend à prendre du recul, à rester ancré. C’est tellement important dans ce stress ambiant où tout est toujours urgent…
Qu’est-ce qui suscite particulièrement ta curiosité en ce moment ?
Rien à voir avec mon travail : j’aime beaucoup la danse et actuellement je participe à des ateliers avec un professeur qui est surtout chercheur chorégraphique notamment sur l’improvisation chorégraphique. On le suit dans son cheminement et ses recherches. C’est passionnant. J’en ai déjà parlé au travail car je trouve que les parallèles sont très intéressants. Pour improviser en danse, tu dois être très ancré, très connecté à toi et aussi aux autres pour créer de la mobilité et du mouvement. La danse, c’est en général très codifié. Là, on désapprend tout ça pour créer son propre mouvement et un mouvement qui, quand tu es en duo ou trio, doit être en relation avec le mouvement des autres.
Très intéressant comme parallèle effectivement. Et dans ton job, quels sont tes sujets de curiosité actuellement ?
Tout ce qui touche au podcast, ainsi que les reportages. En fait, ma curiosité, c’est d’aller sur le terrain, aller là où ça se passe.
Comment fais-tu pour satisfaire cette curiosité ?
Je lis. Je regarde ce qui se fait. Je fais du benchmark. Je me forme. Je vais sur le terrain. J’ai la chance d’avoir une responsable très curieuse donc elle nous encourage dans cette démarche. Elle nous laisse aussi beaucoup de souplesse. Elle a compris comment je fonctionne et elle me fait confiance.
Si Monsieur et Madame Tout le Monde étaient davantage curieux envers toi et le job que tu exerces, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
Je pense qu’ils verraient à quel point c’est technique et que ça demande du temps. Par exemple, pour un reportage ou un podcast de quelques minutes, c’est presque 1 mois de travail. C’est tout un processus. Et en même temps, il n’y a jamais rien de stable et totalement prévisible donc il y a beaucoup d’improvisation.
On verrait aussi que je travaille beaucoup en équipe.
Enfin, on se rendrait compte que, contrairement aux idées reçues, les gens dans les grandes administrations sont très investis et ne comptent pas leurs heures. Ils verraient que notre mission nous tient à cœur. On se sent utile. On est fier de travailler pour une organisation dont les valeurs sont fortes et la mission publique essentielle.
Si des personnes d’autres services étaient davantage curieuses sur ton job et la façon dont tu l’exerces, qu’est-ce qu’ils pourraient davantage voir ou découvrir ?
Ils pourraient se rendre compte qu’on a plus de ressources que ce qu’ils pensent. Ils verraient notre expertise et notre expérience notamment dans les relations presses.
Et ça changerait quoi ?
Ils seraient plus à l’écoute de ce qu’on leur propose, au lieu de vouloir rester dans leur technicité. En fait, si moi je simplifie et vulgarise bien auprès du journaliste, lui va pouvoir mieux appréhender la situation, ce qui permettra de faire un article plus nuancé, compréhensible et juste. C’est finalement la réputation du service et de l’administration qui est en jeu. Mais on bataille souvent là-dessus car les personnes concernées se sentent attaquées et se réfugient dans leurs jargons et des explications techniques.
Et toi, à l’inverse, sur quels sujets ou personnes tu te dis que tu pourrais te montrer plus curieuse dans ton job ?
Je gagnerai à être curieuse sur tout. Mais je pense à ceux qui travaillent sur l’évaluation des politiques publiques. Ça me semble très complexe. J’’essaie de saisir mais il faudrait que je m’accorde plus de temps pour comprendre.
Qu’est-ce qui t’empêche d’exercer cette curiosité ?
Rien. Tu es justement en train de me donner l’idée d’aller faire des interviews auprès des personnes qui font cela. Ça permettrait à moi, mais aussi à d’autres de mieux comprendre. Et quand on comprend mieux, on fait évoluer notre compréhension de la situation et ça nourrit le besoin de sens.
Comment estimes-tu le niveau de curiosité dans ton organisation ?
Dans mon service, il est assez élevé et tend à se développer avec notre manager depuis 3ans. Elle est vraiment très curieuse. Elle nous partage pas mal d’infos et d’inspirations diverses et variées.
Concernant l’administration dans son ensemble, c’est plus difficile d’évaluer, mais contrairement aux idées reçues, on est assez agile et ouvert. On s’adapte constamment.
Quel est à tes yeux le frein principal au développement de la curiosité en entreprise ?
C’est le manque de confiance les uns envers les autres. Quand on vit des périodes de doutes, d’incertitudes, de manque de visibilité, voire de scepticisme, on a tendance à se refermer sur soi ou son service. C’est la peur qui fait agir ainsi. Mais du coup, on manque alors en curiosité. On perd du liant, les égos resurgissent et chacun défend ses prés carrés. On a besoin de ponts et non de murs. Et c’est vrai, que c’est la curiosité qui génère les ponts.
On arrive à la fin de cette interview. Un grand merci pour ton temps et tes partages. Je repars avec plein d’éléments. Et toi, avec quoi repars-tu ?
Ce côté vivant. Si tu n’as plus de curiosité, tu n’as plus d’envie, tu n’es plus vivant. Et je dis ça car je l’ai vécu. Je sais ce que c’est que d’être en mode fermé. Tu te vides de ta substance, de ton énergie. Tu n’as plus de goût. Oui, c’est ça, la curiosité, c’est le goût. Gouter aux autres, gouter à ce que tu ne connais pas. Et finalement, tu te rends compte qu’il y a peu de gens qui aiment gouter à ce qu’ils ne connaissent pas. C’est dingue car pour moi, c’est ça le plaisir de la vie !
J’aime beaucoup l’image. Je rajouterai même qu’être curieux, c’est aussi régulièrement regouter à des choses qu’on n’a pas aimé dans le passé pour voir si c’est toujours le cas.
Oui, c’est intéressant. Je prends vraiment conscience que c’est essentiel. Alors qu’a priori, je me disais que la curiosité ne rentrait pas dans le monde professionnel. En fait je me rends compte que c’est la base. Sans curiosité, tu t’appauvris.
merci beaucoup Eugénie* !
*Eugénie est un pseudo
Ping : Comment obtenir plus de coopération en entreprise ? - L'Entreprise curieuse