En 1950, il fallait 50ans pour que les connaissances en médecine soient multipliées par 2.
En 1980, le doublement des connaissances en médecine avait lieu tous les 7 ans
En 2010, ce doublement avait lieu tous les 3,5ans (1)
Cette accélération des changements ne concerne pas uniquement la médecine mais globalement l’ensemble des disciplines et secteurs. Les connaissances et les informations sont des matières vivantes. Elles évoluent de plus en plus vite. Face à cela, pour rester pertinents, nous devons être capables de remettre en question nos savoirs et nos convictions au moins au même rythme.
Et c’est là que ça coince…Requestionner ce à quoi on croit est loin d’être facile. Alors, devoir le faire régulièrement est un vrai challenge. Challenge qui ne peut être relevé qu’avec une bonne dose de curiosité.
Pourquoi c’est essentiel de savoir exercer son esprit critique ?
Le mot « critique » fait en général très peur, car on lui donne avant tout une connotation négative. De plus, dans notre société où il est aujourd’hui si courant de donner son avis sur tous les sujets par quelques mots bien tranchés dans des posts et commentaires sur les réseaux sociaux, la critique au-delà d’être majoritairement négative, est aussi en générale très facile : l’auteur est caché derrière un pseudonyme et plutôt que de contre-argumenter sur le fond du sujet, on en vient très rapidement à des attaques personnelles. Résultat au-delà d’être négative, la critique est souvent très peu constructive voire même plutôt destructrice. Si on résume la critique à cela, effectivement, il ne semble pas nécessaire de la développer.
Mais ça, ce n’est pas exercer une pensée critique.
Exercer une pensée critique, c’est faire preuve de discernement. C’est être capable de prendre du recul sur une façon de penser, pour y instaurer du doute, de l’ouverture et une démarche cognitive objective pour valider ou invalider la conclusion initiale. Précisons également que la pensée critique ne s’exerce pas uniquement à l’encontre de la façon de penser des autres. Elle s’exerce d’abord et avant tout envers notre propre façon de penser.
Exercer une pensée critique, c’est d’abord apprendre à penser contre soi !
Si cet art de la pensée critique est aujourd’hui largement encouragé dans notre sphère privée, notamment pour lutter contre les fake news, ce n’est pas vraiment le cas en entreprise.
Officiellement pour les raisons évoquées plus haut, c’est-à-dire la crainte de multiplier les râleurs et les critiques faciles au sein de l’organisation. Mais officieusement, ça peut aussi être lié à une peur plus ou moins consciente, de faire face à des esprits plus éveillés qui pourraient venir davantage challenger les décisions de l’entreprise.
Dans tous les cas, dites-vous que ceux qui critiquent facilement existent déjà dans vos organisations. Alors, autant les amener à exercer une vraie pensée critique, plutôt que des y’a qu’à, faut qu’on et autres commentaires acerbes dont ils peuvent avoir l’habitude. Quant à ceux qui challengent les décisions, vous en avez besoin ! A eux, comme à vous, d’apprendre à mieux exercer l’esprit critique pour être capable de s’écouter et d’entendre réellement le point de vue de l’autre.
Enfin, n’oublions pas qu’aujourd’hui la plupart des métiers reposent sur nos capacités cognitives. Quel que soit le poste et le niveau de responsabilité dans l’entreprise, les salariés sont amenés quotidiennement à faire le tri parmi une masse d’informations plus ou moins qualitatives et à prendre des décisions. Comment peuvent-ils bien faire cela sans une bonne capacité de discernement ? Comment peuvent-ils être au maximum de leur productivité s’ils n’utilisent pas pleinement leurs capacités cognitives ?
Plus d’esprit critique va ainsi notamment permettre de :
- Développer les capacités à innover, créer, imaginer. Car pour faire cela, il est nécessaire de penser autrement, de requestionner les schémas mentaux, de sortir du conformisme et des habitudes. Difficile d’être créatif sans pensée critique et sans curiosité. Pour aller + loin sur le sujet de la créativité, découvrez cet article
- Prendre des décisions de façon plus pertinente. Le monde est de plus en plus complexe et les problèmes qui en découlent également. Savoir embrasser cette complexité pour avoir la vision la plus juste de la réalité est ce qui permet ensuite de prendre une décision éclairée. Pour aller + loin sur le sujet de l’approche des problèmes complexes, découvrez cet article
- Renforcer le dialogue et donc la coopération. Développer l’esprit critique permet en effet de sortir de la polarisation des idées. Plus on développe son esprit critique, plus on fait la distinction entre soi et ses idées. On est alors plus ouvert à écouter les autres et à faire évoluer nos conclusions Pour aller + loin sur le sujet du développement de la collaboration, découvrez cet article
- Lever les freins au changement. Plus on développe son esprit critique, plus on comprend les avantages et les inconvénients des différentes options. Quand l’entreprise prend des décisions qui apportent des changements, on est alors plus à même de les comprendre et de les accepter. On gagne en agilité. Pour aller + loin sur ce sujet, découvrez cet article
- Limiter l’impact des rumeurs, des fake news et des critiques faciles. De plus en plus de cours à l’école visent à développer l’esprit critique des enfants notamment face à ce qu’ils voient tous les jours sur Internet. L’entreprise n’étant pas une bulle étanche, on y retrouve les mêmes phénomènes. Avec cependant une population qui est moins accompagnée à l’exercice de sa pensée critique ce qui peut directement nuire à la collaboration, à la confiance…
Comment exercer son esprit critique ?
La démarche scientifique est une bonne illustration de la façon d’exercer son esprit critique.
Etape 1 : la pratique du doute
Un scientifique est conscient des limites de la compréhension de tout être humain, et en premier lieu de lui même. Il se méfie de ses biais, ses préjugés, ses croyances. Bref, il est vigilant sur sa façon de penser. Cela lui permet de pratiquer le doute raisonnable.
Attention ça n’a rien à voir avec le fait de douter de soi. C’est plutôt douter de ses conclusions. Savoir que ce qu’on dit être LA vérité est en général notre vérité, notre hypothèse privilégiée. Ainsi, on s’ouvre à l’existence d’autres possibilités.
Attention également à ceux qui se croiraient assez intelligents pour ne pas être confrontés aux limites cognitives. Les études montrent au contraire que plus on est intelligent plus il est difficile de voir ses propres limites. Quand on sait bien penser, on risque donc de ne pas savoir bien repenser 😉
Etape 2 : l’ouverture
Conscient qu’il ne sait pas tout et que ce qui était vrai hier est peut être faux aujourd’hui, un scientifique cherche constamment à mettre à jour ses connaissances. Il s’ouvre donc aux informations et avis différents. C’est un vrai challenge pour la majorité d’entre nous car très souvent, quand nous allons tomber sur des informations contraires à ce que nous pensons, nous sommes aveuglés par notre biais de confirmation : nous écoutons cette autre idée, non pas dans le but de faire évoluer notre point de vue, mais dans l’intention de le confirmer.
« Si quelques données nous suffisent pour tirer des conclusions, la même quantité de données se révèle rarement suffisante pour nous amener à revenir sur ces conclusions » Kathryn Schultz
Etape 3 : l’évaluation objective
Dans son laboratoire, le scientifique va tester les différentes hypothèses. Il met au point des protocoles et effectuent de nombreux tests. En dehors d’un laboratoire scientifique, cette étape consiste à vérifier les sources d’information, distinguer le possible du vraisemblable, détecter les arguments fallacieux…
C’est une étape plus technique qui nécessite une rigueur intellectuelle. C’est souvent là-dessus que les enfants sont de plus en plus accompagnés pour apprendre à détecter les fake news. On leur démontre par exemple que le nombre de followers n’est pas synonyme de source sûre.
On pourrait faire le même parallèle en entreprise : ce n’est pas celui qui est le plus « liké » et soutenu dans ses idées, ou celui qui parle le plus fort, qui a forcément raison. On le sait. Et pourtant….
Etape 4 : conclusion temporaire
Un bon scientifique est le premier à savoir remettre en cause ses conclusions. A réinstaurer du doute pour voir s’il arrive à la même conclusion. Bien sûr, ce n’est pas un cycle continu. Il n’est pas nécessaire de remettre en cause constamment toutes les conclusions. Avoir un bon esprit critique, c’est aussi savoir quand il est nécessaire de l’exercer et quand il vaut mieux s’abstenir.
Mais nous ne sommes pas des scientifiques et nous ne sommes pas dans un laboratoire. Un élément capital influe plus fortement sur nous avec le risque d’étouffer notre esprit critique : l’effet de groupe.
Nous sommes avant tout des êtres sociaux, nous avons besoin de nous sentir appartenir à un collectif. Si notre groupe pense d’une certaine façon, il est très difficile d’exprimer une idée qui serait contraire. C’est en tout cas prendre un risque. Consciemment ou non, nous évaluons ce risque avant d’oser exprimer à haute voix notre esprit critique. Cela est encore plus vrai dans les relations professionnelles, et notamment face à ceux qui exercent un pouvoir. Sommes-nous prêts à prendre le risque d’exercer notre pensée critique pour nuancer par exemple ce que notre manager vient d’exposer ? Sommes-nous prêts à prendre le risque de paraitre ignorant ou à côté de la plaque en posant une question qui viendrait aborder tout un pan du sujet qui n’a pas été exposé ? Sommes-nous prêts à prendre le risque d’être vu comme un perturbateur parce qu’on proposerait autre chose ?
La notion de sécurité psychologique développée par Amy Edmondson (2) est un élément non négligeable à avoir en tête pour développer l’esprit critique et la curiosité dans son organisation. Quelques techniques de facilitation comme les chapeaux de Bono par exemple, permettent de sécuriser les personnes. Par ces jeux d’animation, on donne le droit, mais surtout le devoir d’émettre un avis contraire. Voilà une bonne façon d’instaurer de l’esprit critique dans des collectifs en sécurisant au maximum ceux qui s’expriment.
Comment amener quelqu’un à réviser ses conclusions ?
Quand on parle de ces sujets, très vite on nous demande comment convaincre l’autre ou au moins faire en sorte qu’il soit davantage ouvert et à l’écoute d’autres points de vue.
Mais plutôt que de parler de l’autre, ce qui est intéressant c’est de regarder comment vous, vous vous y êtes pris. Remémorez-vous la dernière fois que vous avez eu un échange de ce type :
- Quelle a été votre posture ?
- Quel était votre niveau d’écoute ? Une vraie écoute pour comprendre, et non essayer de convaincre
- A quel moment avez-vous laissé entrer le doute en vous ? Ce doute raisonnable qui vous permettrait d’envisager que votre conclusion et votre raisonnement puissent avoir des failles et des lacunes, au même titre que vous attribuez des failles et des lacunes au raisonnement de l’autre ?
« Lorsque quelqu’un est particulièrement résistant, il faut se demander : n’est-ce pas par hasard nous, avec notre tentative de le faire changer d’avis qui sommes responsables de son raidissement ? En fait beaucoup de gens se persuadent de plus en plus de leur propre idée lorsque quelqu’un la remet en question » Matthew Rampin
On nous apprend à convaincre, à nous montrer sûrs de nous et à défendre nos idées. On devrait nous apprendre à douter, à nous montrer moins sûrs de nos conclusions et à écouter les idées des autres. Bref, à adopter la posture qu’on attend que l’autre adopte vis-à-vis de nous.
3 scénarios peuvent alors découler de ces vraies discussions :
- L’autre a tort : par notre ouverture et notre curiosité envers ses idées et ses propos, nous l’avons amené à adopter également une posture d’ouverture et de curiosité envers d’autres façons de voir les choses. La meilleure arme n’est alors pas d’assommer l’autre par la liste de nos arguments. Mais de le questionner sur ses conclusions et raisonnements. C’est ainsi qu’on peut induire un doute chez lui. Et donc une ouverture.
- Nous avons tort : et bien bonne nouvelle, si nous sommes ouverts à l’autre, si nous savons écouter et si nous sommes capables de mettre notre égo de côté, nous changeons d’avis. Nous sommes désormais moins bêtes qu’il y a quelques minutes. Malheureusement, changer d’avis, admettre que nous avons eu tort est assez mal vu dans notre société. C’est assimilé à un signe de faiblesse et à de la bêtise (nous aurions mal réfléchi avant). Résultat, nous préférons camper sur nos positions. Même si cela nous amène à défendre des bêtises… Quand deux personnes échangent avec cela en lame de fond, on comprend bien que ni l’un ni l’autre ne fera évoluer sa pensée…
- Nous avons tous les deux à la fois tort et raison : L’échange a permis à l’un et à l’autre d’enrichir les points de vue pour arriver à une autre conclusion. C’est ce qui devrait normalement arriver le plus souvent. Car la vérité est souvent à mi-chemin. Cependant, nous envisageons majoritairement les discussions/débats comme des batailles où la seule issue serait un gagnant et un perdant, ce qui nous prive de cette 3ème option. Et in fine ce qui nous prive des options 1 et 2 car peu de personnes sont prêtes à admettre avoir tort
L’antidote de la curiosité pour développer l’esprit critique
La curiosité du monde
Comme le disait si bien Einstein : Plus j’apprends, plus je réalise que je ne sais pas
Quand on est curieux, on fait preuve d’humilité quant à ce qu’on sait, car on a conscience de tout ce qu’on ne sait pas. On appréhende aussi davantage la complexité des choses ce qui accentue la prudence face à des conclusions un peu trop faciles. C’est cela qui permet d’être à l’aise avec la notion de doute.
La curiosité des autres
La curiosité de l’autre pousse à rencontrer des gens très différents. Des gens qui ne vivent pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous. Naturellement cela ouvre de nouvelles perspectives. La curiosité de l’autre donne aussi naturellement envie de comprendre plutôt que de juger. C’est cette curiosité qui amène donc à questionner et écouter plutôt que d’essayer de convaincre.
Cela permet d’enrichir notre vision et de comprendre que bien souvent la question n’est pas de savoir qui a tort et qui a raison mais de compléter nos visions ce qui enrichit notre perception de la réalité. Et affute donc notre esprit critique.
La curiosité de soi
Enfin la curiosité de soi permet de prendre du recul sur nos réactions, et notamment celles où notre égo rentre en jeu. Car c’est l’un des principaux obstacles au développement de notre esprit critique.
Nous avons tous de l’égo et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Son rôle est de préserver notre image. Nous cherchons à nous montrer sous notre meilleur jour. Et pour cela, nous aimons nous sentir en contrôle de ce qui se passe et en sécurité. L’esprit critique à l’inverse peut mettre en insécurité et en manque de contrôle car il vient titiller nos certitudes. Et en plus, quand il est exercé par quelqu’un d’autre à l’encontre de nos conclusions, c’est la double peine : non seulement il pourrait s’avérer qu’on ait tort (ce que notre égo n’aime pas) mais en plus, ce serait démontré aux yeux des autres (ça notre égo aime encore moins). Résultat, notre égo fuit l’inconnu, le doute et les remises en questions. Il préfère rester sur ce qu’il connait plutôt que d’explorer de nouvelles choses.
Développer en amont sa curiosité et notamment la curiosité de soi est donc nécessaire, Plus on se connait, plus on développe notre estime de nous. On se sent alors plus en sécurité pour remettre en question notre savoir car on sait que ça ne remet pas en question notre personnalité et nos compétences dans leur ensemble. Tous les travaux de William Schutz autour de l’élément humain reposent sur l’importance de chacun à travailler et développer son estime de soi, sous peine d’adopter des mécanismes de défense qui nous rendent rigides.
« Nos rigidités nous fixent sur des points particuliers et toute notre énergie s’y trouve concentrée, provoquant ce qui se passe quand Bison oublie d’être futé : des embouteillages, des bouchons, des apoplexies » François Roustang
Être curieux de soi permet de gagner en lucidité sur ces mécanismes. Cela aide à prendre du recul et facilite la remise en question.
Adam Grant, dans son livre le pouvoir de la pensée flexible, explique que nous avons tous 4 personnages qui cohabitent en nous :
- Un prédicateur : Nous l’incarnons lorsque nos croyances sont menacées. Nous livrons alors des sermons pour défendre et promouvoir nos idéaux.
- Un politicien : Nous l’incarnons quand nous cherchons à conquérir un public : nous faisons campagne et militons afin d’obtenir l’adhésion des autres.
- Un procureur : Nous l’incarnons quand nous identifions une faille dans le raisonnement d’autrui. Nous présentons alors nos arguments afin de prouver à l’adversaire qu’il a tort et nous raison.
- Un scientifique : Nous l’incarnons quand nous révisons notre point de vue en fonction de nouvelles données. Nous nous livrons alors à des expériences pour tester des hypothèses et découvrir un nouveau savoir.
Vous l’aurez compris, seul le scientifique est curieux et fait preuve d’esprit critique.
C’est tout notre challenge : adopter majoritairement une posture scientifique et laisser davantage de côté toutes les autres postures que nous prenons si facilement.
Alors la prochaine fois que vous entendez une idée contraire à la vôtre, serez-vous prêt à l’écouter vraiment ?
(1) Adam Smith, le pouvoir de la pensée flexible
(2) Amy C. Edmondson, L’entreprise sereine
Concrètement, comment faire ?
L’entreprise curieuse propose notamment une conférence pour prendre conscience de ces enjeux. Les ateliers permettent d’expérimenter son esprit critique et son ouverture à partir de sujets propres à votre organisation. Dans le parcours de formation, vous retrouvez aussi un module consacré à la posture scientifique, un autre consacré à nos mécanismes de rigidité et enfin, un dernier pour développer sa flexibilité cognitive et comportementale. Enfin, vous pouvez directement faire appel à notre regard curieux pour venir vous challenger 😉 Pour en savoir +, découvrez notre offre.