Dans un monde où l’information circule à une vitesse vertigineuse et dans une quantité monstrueuse, où les repères évoluent sans cesse et où l’incertitude est devenue la norme, la capacité à prendre des décisions — et idéalement, de bonnes décisions — est devenue un impératif stratégique. Les entreprises doivent agir vite, être capables de réajuster constamment des décisions quotidiennes, comme des projets plus longs termes. Et, plus encore qu’hier, ne pas décider revient souvent à prendre la pire des décisions : celle qui conduit à louper le train en marche et qui peut amener à prendre un retard fatal.
Mais d’où viennent nos décisions ? Comment les prenons-nous ? Et surtout, comment nous assurer au mieux de prendre les « bonnes décisions » ? La curiosité apparait comment un élément préalable indispensable de l’intelligence décisionnelle. Mais avant de voir ça de plus près, regardons plus précisément ce qu’est la compétence de prise de décision.
La prise de décision : une compétence centrale
Selon une étude de l’université de Cornell, un adulte prend en moyenne 35 000 décisions par jour. Et parmi ces 35000 décisions, plus de 95% sont prises de façons inconscientes (certains experts montent même à 98%, voire 99%). Alors certes, la majorité d’entre elles sont anodines (choisir sa tenue, son trajet habituel, ce qu’on mange…). Mais pas toutes…
Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie, distingue deux systèmes de pensée dans nos processus mentaux. Le Système 1 est rapide, intuitif, automatique. C’est celui qui nous permet de réagir instantanément. Il fonctionne en permanence, sans effort conscient. C’est lui qui est à l’œuvre dans les plus de 95% de décisions prises au quotidien. À l’inverse, le Système 2 est lent, réfléchi, analytique. Il entre en jeu lorsque nous devons résoudre un problème complexe, comparer des options ou remettre en question nos premières impressions. Bien que plus fiable pour prendre des décisions raisonnées, le Système 2 demande plus d’énergie et n’est activé que lorsque nous faisons réellement l’effort de réfléchir consciemment.
Cependant, ces 2 systèmes sont soumis aux biais cognitifs. C’est particulièrement vrai pour le système 1 qui fonctionnent sur la base de raccourcis de pensées. Mais, il faut aussi être lucide sur le fait que le système 2 n’y échappe jamais totalement, quand bien même nous sommes persuadés d’avoir une approche consciente, rationnelle, objective…

On recense aujourd’hui plus de 250 biais cognitifs : biais de confirmation, biais d’ancrage, effet de halo, biais de statu quo… Tous influencent nos décisions, souvent à notre insu. Par exemple, un manager peut décider de reconduire une stratégie qui ne fonctionne plus, simplement parce qu’elle a fonctionné par le passé (biais de statu quo). Ou encore, accorder plus de poids à des informations qui confirment son opinion (biais de confirmation), tout en écartant celles qui la contredisent. Ou encore persévérer dans un projet qui pourtant ne portent aucun fruit et que beaucoup critiquent (escalade de l’engagement).
On voit bien que développer la compétence de décision, ce n’est donc pas simplement apprendre à trancher. C’est suivre un processus structuré, qui passe par plusieurs étapes clés :
- Identifier clairement le problème ou l’enjeu : trop souvent, les décisions sont biaisées dès le départ par une mauvaise formulation du problème.
- Recueillir et analyser l’information : données objectives, avis contradictoires, signaux faibles… Cette étape permet d’élargir le champ de vision.
- Explorer les options possibles : une bonne décision repose rarement sur une opposition binaire. Savoir générer plusieurs scénarios est essentiel.
- Évaluer les conséquences de chaque option : à court, moyen et long terme. Cela implique de projeter, d’anticiper les effets collatéraux, ce qui est loin d’être toujours évident lorsque les sujets sont complexes.
- Prendre la décision : en assumant le choix, même s’il reste une part d’incertitude. C’est ici que la confiance et la clarté jouent un rôle crucial.
- Suivre, ajuster, apprendre : une bonne décision se pilote dans le temps. Le feedback est une composante à part entière du processus.
Autre élément important à prendre le compte : les émotions. Notre approche est encore très empreinte du sacro-saint de la rationalité, promu par Descartes. Pourtant, les travaux du neuroscientifique Antonio Damasio ont montré que les émotions jouent un rôle central dans le processus de décision. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, leur rôle n’est pas forcément négatif. Dans son ouvrage L’erreur de Descartes, il démontre que des personnes ayant subi des lésions dans les zones du cerveau impliquées dans les émotions se retrouvent incapables de prendre des décisions cohérentes, même si leurs capacités intellectuelles sont intactes. La conclusion est qu’une bonne décision, est une décision prise à la fois par la raison, mais aussi par les émotions.
On voit que la compétence décisionnelle ne se limite pas à l’acte de choisir : elle implique de savoir poser le bon diagnostic, de structurer son raisonnement, de reconnaître l’apport des émotions, de remettre en question ses réflexes mentaux et d’apprendre de ses choix. Et pour être capable de faire tout ça, la curiosité est un préalable de poids.
Curiosité et prise de décision : une alliance fertile
1. La curiosité du monde : explorer au-delà de ce que l’on connaît
Cette forme de curiosité pousse à explorer l’environnement, à questionner ce qui semble établi, à chercher des signaux faibles, des tendances émergentes. C’est la curiosité qui amène à se demander : “Qu’est-ce que je ne sais pas encore ?”, “Que font les autres secteurs ?”, “Y a-t-il un autre angle de lecture ?” La curiosité du monde alimente particulièrement les premières étapes de la prise de décision : l’identification claire de l’enjeu, le recueil et l’analyse de l’information ainsi que l’exploration et l’évaluation des options.
La curiosité apparait comme un garde-fou à la tendance au repli sur soi, ses connaissances et ses acquis. Vous estimez sans doute que, bien évidemment, vous regardez ce qui se passe autour avant de prendre une décision. Pourtant, il faut avoir conscience que la peur, ou à l’inverse la sur-confiance peuvent nous amener à restreindre fortement le périmètre de nos investigations. Nous restons alors dans une certaine zone de confort, faisant fi de tout ce qui est au-delà, tout ce qui est nouveau et de tout ce qui serait trop complexe à appréhender.
2. La curiosité des autres : écouter pour mieux comprendre
Cette forme de curiosité consiste à s’intéresser sincèrement aux opinions, ressentis, expériences et signaux émis par les autres — collègues, clients, partenaires, usagers. C’est aussi cette forme de curiosité qui est propice à l’expression d’idées divergentes et donc de la créativité.
Dans un processus décisionnel, cette curiosité des autres permet donc de décentrer son point de vue, de confronter les perspectives, d’imaginer de multiples options et d’éviter les décisions en vase clos. C’est toute la richesse de l’esprit critique, dans le sens le plus noble du terme, qui est ainsi mis en lumière. Ça parait évident quand on lit cela, pourtant, regardez autour de vous : combien de décisions impactantes pour les consommateurs ou d’autres services de l’entreprise, sont prises par quelques personnes, sans réellement avoir cherché à comprendre les impacts pour le plus grand nombre ? Nous vous en faisions une illustration dans notre dernier article sur la curiosité et la relation clients.
3. La curiosité de soi : interroger ses propres mécanismes
Enfin, il y a une curiosité plus introspective, parfois sous-estimée : la curiosité de soi. C’est celle qui nous pousse à questionner nos réactions, nos schémas de pensée, nos automatismes. Elle suppose une certaine dose d’humilité, car elle engage à reconnaître nos limites et nos biais.
Cette forme de curiosité invite également à écouter son intuition — non pas comme une vérité immédiate, mais comme une source d’information à interroger. Apprendre à distinguer ce qui relève d’une intelligence intuitive (issue de l’expérience ou de l’observation fine) de ce qui provient de réflexes conditionnés, de stéréotypes ou de peurs est un véritable travail sur soi. Cela demande de ralentir, de s’observer, de reconnaître les signaux internes. Dans une logique de décision, cette curiosité de soi est cruciale. Elle permet de repérer quand une décision est dictée par la peur, par la pression sociale, ou par le besoin de confort. Elle aide aussi à identifier ses biais préférés — ceux que l’on active sans même s’en rendre compte.
Elle permet enfin de développer une relation plus apaisée à l’incertitude. Car une décision, même bien préparée, n’offre jamais de garantie absolue. Il est essentiel d’accepter qu’un choix peut conduire à des résultats imprévus. L’important est alors de savoir apprendre de ce qui advient, d’ajuster sa trajectoire, et de renforcer, au fil du temps, la qualité de ses jugements.
« Une décision parfaite est une décision qui ne se prend jamais. Au lieu de chercher à faire un choix parfait, faites un choix basé sur vos meilleurs informations et instincts et allez de l’avant » William M.Marston, psychologue
Dans un contexte où tout va plus vite, où l’ambiguïté et la complexité sont omniprésentes, et où les décisions doivent être prises dans des délais souvent contraints, la tentation est grande de rester dans sa zone de confort cognitif. D’agir par réflexe. De reproduire ce qui a déjà marché. Mais les organisations les plus agiles, les plus lucides, sont celles qui savent remettre en question leurs certitudes, écouter les signaux faibles, s’ouvrir à l’inconnu. Et cela suppose une posture profondément curieuse.
Heureusement, nous avons tous ce potentiel curieux. Nous l’exploitons plus ou moins, mais il est là. Les entreprises ont donc tout à gagner à créer des environnements qui vont permettre l’expression de ce potentiel. Par exemple via :
- La promotion de la veille partagée et du droit à la question
- La mise en place de rituels d’intelligence collective, où les avis divergents sont accueillis comme des richesses
- L’encouragement à la formation continue, à la découverte de nouveaux sujets, y compris hors du champ métier
- L’ouverture à des feedbacks réguliers, y compris sur les décisions passées
Tous ces éléments contribuent à exprimer de la curiosité et à éclairer les prises de décisions futures.
La curiosité ne garantira jamais des décisions 100% sûres. Mais elle garantit de meilleures questions, une vision plus large, des angles morts mieux repérés. Elle est, en ce sens, un socle pour des décisions plus éclairées, plus responsables, et plus humaines.
Concrètement, comment faire ?
L’entreprise curieuse propose notamment une conférence pour prendre conscience de ces enjeux, ainsi qu’un atelier sur les biais cognitifs afin de gagner en conscience sur ces mécanismes omniprésents dans nos prises de décision. Découvrez notre offre.